La Butteria, ou la subtilité du beurre

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Histoire d'ici

La Butteria, ou la subtilité du beurre

En Suisse, deux Italiens entendent donner au beurre ses lettres de noblesse, acquises il y a déjà bien longtemps en France. C'est le projet qui se cache derrière la Butteria.

Un lien élémentaire  

Carbone, hydrogène et oxygène. Trois éléments qui façonnent notre monde: c'est notamment eux qui constituent nos montagnes, nos arbres… et même le beurre! Mais à la Butteria, un autre ingrédient secret vient s'y ajouter: la créativité culinaire de Francesco Paccione et Dario Lazzari. Entre leurs mains, le beurre devient un mets raffiné au goût étonnamment varié: sucré, citronné, herbacé, terreux, fumé… 

"La notion d'expérience est au cœur de notre concept", estime Francesco. Cet ancien chef de service forme un tandem de choc avec Dario, ancien sous-chef. Autant dire qu'à eux deux, ils font honneur à la légendaire hospitalité italienne. "Un peu de prosecco?" propose-t-il en attrapant la bouteille. Il dépose ensuite du pain fraîchement grillé accompagné de six beurres de dégustation de différentes formes et couleurs. 

La spécialité de la maison? Le beurre en forme de mignardise
La spécialité de la maison? Le beurre en forme de mignardise

Portrait de la Butteria

Fondateurs: Francesco Paccione et Dario Lazzari

Activité: Fabrication de plaquettes de beurre aux arômes variés, basée autant que possible sur des produits locaux et bio, et vente de babeurre, issu de la fabrication du beurre. Au bistro de la Butteria, le beurre et le babeurre subliment les plats.

Production: 100 à 200 litres de crème transformés par mois (40% en beurre, 60% en babeurre).

Spécialités: Les mignardises de beurre pour plateaux apéritifs.

À la Butteria, les produits sont fabriqués une fois par semaine. 

Entre produit du quotidien et explosion de saveurs  

Nos deux fins gastronomes, qui travaillaient auparavant dans un restaurant étoilé, se consacrent désormais corps et âme au beurre. Voilà un choix pour le moins surprenant! Le beurre est rarement considéré comme raffiné; il s'agit plutôt d'un produit de tous les jours qu'il vaut mieux consommer avec modération. On peut même le fabriquer dans sa propre cuisine, pour autant que l'on ait la patience de battre la crème assez longtemps. Mais le beurre de notre tandem est d'un tout autre acabit. Après six mois d'expérimentation en tout genre, ils ont enfin trouvé la recette miracle. Produit à partir de crème de la région, leur beurre contient un peu de zeste de citron, qui lui permet de se conserver pendant au moins six semaines. À partir de cette base, ils produisent une multitude de variations: beurre à la truffe de Rüschlikon, au citron, à la betterave, beurre Züri-Kafi (revisite du fameux Café de Paris), etc.  

 

Mélanger, ajouter de la truffe fraîche… Et la magie opère!
Mélanger, ajouter de la truffe fraîche… Et la magie opère!

Mignardises de beurre à faire fondre 

"À déguster lentement, en laissant chaque note se révéler", telle est la consigne du Chef Dario. Effectivement, le beurre à la betterave – aromatisé au romarin et à diverses épices comme le piment, la muscade et le poivre – offre une expérience gustative complète: après une première touche saline point une douceur subtile, bientôt suivie d'accents citronnés. Les mignardises de beurre fondent ainsi l'une après l'autre dans la bouche, laissant derrière elles cette délicieuse frustration, cette envie irrésistible d'en goûter encore une, pour en saisir toute la richesse. 

Former des plaquettes à partir de la masse initiale.
Former des plaquettes à partir de la masse initiale.

La chimie du goût 

Cette expérience culinaire ne serait pas possible sans les "forces de London", ces interactions entre les molécules qui permettent aux substances aromatiques de se lier aux acides gras de la crème. Pour Francesco et Dario, c'est juste une question de patience: il suffit de placer la crème 24 heures dans un bocal réfrigéré pour qu'elle soit teintée de notes herbacées ou épicées. Ensuite, il ne leur reste plus qu'à battre la crème pour obtenir un beurre délicat.

Un petit tour d'Europe 

Mais les forces de London ne sont pas les seules à l'œuvre: c'est avant tout une insatiable curiosité qui anime Francesco et Dario et les a amenés à diriger aujourd'hui la Butteria. Après avoir grandi ensemble à Rome, les deux Italiens ont contracté la fièvre du voyage. Première étape: Londres et sa scène gastronomique bouillonnante. "Nous voulions faire nos propres expériences et découvrir de nouvelles cultures en partant de zéro", raconte Francesco. S'ensuivirent moult pérégrinations, tantôt ensemble, tantôt chacun de son côté. Après Palma de Majorque et Saint-Tropez, les chemins des deux amis se sont de nouveau croisés dans un restaurant étoilé de Rüschlikon 

 

Dans le bocal, la crème infuse lentement… 
Dans le bocal, la crème infuse lentement… 

Préférer le beurre: une hérésie pour des Italiens? 

C'est dans l'esprit de Dario qu'a germé l'idée de la Butteria: "Au départ, c'était un peu pour blaguer. Dans nos familles en Italie, le beurre, c'est vade retro! L'huile d'olive, c'est sacré!" C'est durant son séjour en France qu'il s'est pour ainsi dire converti à la cuisine au beurre. À l'origine de ce changement de foi? Un morceau de beurre de homard. Il n'a ensuite eu aucun mal à rallier son ami de longue date à son nouveau credo culinaire, le convainquant d'embrasser son concept commercial: "Je n'ai pas envie d'être un Italien comme les autres, confie Francesco. Au début, je l'avoue, j'ignorais encore tout ce que l'on pouvait faire avec du beurre. Mais j'ai peu à peu appris à l'apprécier, motte après motte." Non sans raison! Le beurre est bien plus qu'une simple pâte à tartiner: un soupçon de beurre teriyaki, et voilà le poulet cuit sous vide parti pour l'Extrême-Orient! Côté végétarien, le babeurre aux herbes sublime la soupe de tomates tandis qu'une émulsion de beurre à la betterave donne une sauce crémeuse et aromatique pour accompagner les raviolis au fromage de chèvre. 

Dario (à gauche) et Francesco sont amis depuis l'enfance.  

J'ai peu à peu appris à apprécier le beurre, motte après motte.

Francesco Paccione, gérant de la Butteria.

À la découverte de l'"oléogustus" 

Le beurre pour pâtes a rencontré un franc succès auprès de la clientèle de la Butteria à Thalwil. Un succès qui amuse Dario et lui rappelle une anecdote croustillante: "En Italie, on appelle les pâtes au beurre 'pasta dei cornuti', soit les pâtes des cocus. Rapide à préparer, c'est – paraît-il – le plat préféré des épouses infidèles, sans doute pressées de retrouver des occupations autrement plus plaisantes", ajoute-t-il malicieusement. Voilà pour la légende! Mais en 2015, une étude américaine a fait valoir une autre interprétation, un peu plus moderne, du succès de ce plat. L'équipe de recherche a démontré que les acides gras activaient des récepteurs gustatifs spécifiques sur la langue. Le "gras" pourrait donc être le sixième goût fondamental, après sucré, acide, salé, amer et umami. Dans le jargon, on l'appelle "oléogustus". 

 

Beurre à la betterave sur les pâtes, beurre teriyaki sur le poulet.
Beurre à la betterave sur les pâtes, beurre teriyaki sur le poulet.

Les piliers du goût 

En quoi le beurre est-il multifacettes? Doté d'un goût qui lui est propre, il met également en valeur d'autres saveurs grâce aux fameuses forces de London. Il sublime ainsi une grande variété de plats et leur apporte une touche de raffinement. Et ce, malgré une recette simple:  

  • Ajouter à la crème du zeste de citron, du sel, du sucre et, selon les goûts, d'autres ingrédients, et laisser reposer au frais pendant une nuit.  
  • Le lendemain, filtrer, battre en beurre à température ambiante et récupérer le babeurre aromatisé.  
  • Pétrir le beurre et le laisser refroidir quelques heures jusqu'à ce qu'il ait perdu suffisamment d'eau.  
  • Réchauffer jusqu'à obtenir une consistance crémeuse et ajouter des ingrédients tels que des herbes fraîches.  
  • Laisser reposer le beurre une nouvelle fois au réfrigérateur.  

Finalement, rien de plus simple que de transformer les ingrédients les plus élémentaires en délices raffinées.